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Reïna

Reïna


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Localisation : Toulon
Date d'inscription : 04/01/2010

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MessageSujet: Une nouvelle...   Une nouvelle... Icon_minitimeMer 20 Jan - 9:52

Lettres à Gwendoline








Assise
au coin du feu, elle travaille sur son ouvrage de broderie. Ses doigts fins et
fragiles courent sur ce modèle de deux chatons pelotonnés l’un contre l’autre.
La broderie la détend et elle laisse ses pensées vagabonder au gré de ses
souvenirs. De temps en temps, elle reste, l’aiguille en l’air, les yeux fixant
les flammes qui dansent dans l’âtre. Elle se sent bien. Le feu crépite et
accompagne sa solitude. Puis elle reprend son ouvrage et parfois quelques
soupirs s’échappent de sa poitrine. Depuis dix ans qu’elle est revenue dans la
maison familiale, elle vit presque en recluse, ayant quelques contacts de bon
voisinage. Sans en faire partie, elle brode pour ces dames de la paroisse
toutes sortes de petites merveilles, bavoirs, serviettes, mouchoirs, initiales
pour un trousseau de mariée. Elle ne se lasse jamais. Pourtant, l’entretien de
la maison lui prend du temps. Elle ne peut se permettre une aide, une adorable
jeune fille, que trois fois par semaine pour les gros travaux et les soins
apportés à l’argenterie et aux cuivres.


A
quarante ans, avec encore un corps de
jeune fille, la taille fine, une poitrine haute et ferme, de jolies jambes
galbées, de grands yeux verts insondables et une chevelure noire coupée court,
avec par-ci, par-là quelques fils d’argent, elle plaît beaucoup aux trois ou
quatre célibataires qui habitent les environs et qui rêvent de lui faire la
cour. Son sourire doux et avenant attire la sympathie des grands et des petits.
Les gens du village ont été étonnés lorsqu’un jour de décembre, la pluie
battant la campagne, elle arriva avec ses bagages et rouvrit la vieille demeure
fermée depuis si longtemps…


Il
lui avait fallu du courage pour tout remettre en état : chasser les toiles
d’araignée, secouer la poussière des draps qui recouvraient le mobilier, cirer
les meubles, faire briller le parquet… Elle a dû faire appel à un plombier pour
réparer la robinetterie et la chaudière. Pendant les gros froids, le chauffage
central est bien agréable. Mais la pièce qu’elle préfère, c’est le salon où le
feu de la cheminée lui donne un confort douillet et apaisant. Depuis toute petite,
elle a toujours adoré s’asseoir ou s’allonger près de la cheminée pour lire,
rêvasser ou s’inventer des histoires. Chaque année, c’était avec un plaisir
plus grand qu’elle retrouvait pour une semaine, quinze jours ou un mois de
vacances, la famille réunie autour de l’aïeule. Dans la chaude ambiance qui
régnait à la « Maison Rose », l’amour des uns et des autres, loin du
bruit de la ville et de la pollution, elle se ressourçait et emmagasinait pour
une année mille petits bonheurs : le parfum de la terre, le gazouillis des
oiseaux, la bonne odeur et le goût délicieux des confitures de grand’mère, son
regard attendri et affectueux lorsqu’elle regardait sa petite fille, sa douce
Gwendoline, comme elle l’appelait. Jamais, elle n’a oublié ce regard plein de
bonheur et qui disait en même temps « vous reverrai-je l’an
prochain » ? Et lorsque mamie fut partie, une nuit dans son sommeil,
après les funérailles où toute la famille se trouva réunie une dernière fois,
la maison fut fermée et Gwendoline reçut la clé, chacun s’étant exilé dans un
pays ou dans un autre.


Gwendoline
regarde sa broderie terminée et décide qu’elle gardera celle-ci pour elle. Elle
adore les chats et s’étonne qu’elle n’ait pas eu l’idée depuis son retour au
pays d’en avoir un. Là-bas, en ville, dans un appartement, et Eric détestant
les animaux, elle s’était privée de ce plaisir. Il y a longtemps qu’elle
n’avait songé à Eric… Au début, elle s’était efforcée de ne plus prononcer ce
prénom, d’essayer de l’effacer de sa mémoire, d’apprendre à vivre sans lui.
Mais aujourd’hui, tant de souvenirs remontant à la surface, il était impossible
qu’il ne ressurgisse pas soudain, pour la tourmenter ? Pour lui faire
revivre leur bel amour ? Pour se poser encore et encore des questions sur
sa disparition mystérieuse ?


Depuis
son mariage à vingt-deux ans, elle n’avait plus remis les pieds dans la
« Maison Rose ». Eric avait une belle situation, un cabinet
d’architecte qui tournait très bien et Gwendoline, ses diplômes de lettres en
poche, était restée à la maison. Ils recevaient beaucoup, leur table appréciée
et chacun vantait les qualités et la bonne humeur de la jeune femme. Gwendoline
et Eric, cités en exemple comme le couple parfait, représentaient les amoureux
inséparables qui faisaient parfois des envieux parmi leurs amis.


Au
bout de trois ans de mariage, Eric partit un matin comme chaque jour à son
bureau, après avoir embrassé fougueusement sa femme, et ne rentra plus à son
domicile. La jeune femme apprit que ses collaborateurs ne l’avaient pas vu ce
jour-là. Elle signala sa disparition, engagea un détective privé et, pendant
cinq ans, elle espéra son retour, ayant toujours sur ses lèvres le goût de son
dernier baiser. Mais aucune piste n’aboutit. L’associé et ami de son mari,
homme intègre et fidèle prit la direction du cabinet et versa une rente à
Gwendoline qui décida de retourner dans la maison de son enfance.


Là,
personne ne connaissait son chagrin, le vide de son cœur… En ville, elle ne
supportait plus les regards interrogatifs ou de compassion de son entourage.
Elle en avait assez de répondre toujours aux mêmes questions dont elle n’avait
pas la plus petite réponse. Le temps passant, on s’intéressa moins à elle, on
continuait à la plaindre d’avoir été abandonnée, mais on l’invita de moins en
moins. Elle se sentait perdue au milieu de cette foule indifférente ou
condescendante. On avait oublié ses réceptions, la chaleur de son hospitalité,
sa disponibilité souriante pour chacun de ses amis. Les gens sont-ils aussi
ingrats ou bien le malheur des autres les effraient-ils et les font fuir ?
Sa meilleurs amie, Geneviève, mariée à un Américain quelque temps après la
disparition d’Eric, avait quitté la France pour San Francisco. Elles
correspondaient assez régulièrement, mais des lettres aussi chaleureuses soient-elles,
ne peuvent remplacer une présence.


Le
temps a passé et Gwendoline s’étonne de se retrouver dans une demi pénombre.
Elle allume chaque lampe du salon et se regarde dans la grande glace au-dessus
du bahut, comme pour essayer de fixer son image, d’être sûre que c’est bien
elle qui vit depuis dix ans dans ces murs qui sont imprégnés de tant de
souvenirs, de tant de présence invisible.


La
pendule indique dix-neuf heures trente. Elle n’a pas très faim. Elle a envie
d’un bon chocolat bien crémeux. Ensuite, elle montera dans sa chambre et, la
couverture jusqu’au menton, elle lira quelques pages de son livre commencé. Ce
soir, pas de télé ni de radio. Elle a besoin que le silence se prolonge jusqu’à
ce que le sommeil l’entraîne au-delà du réel, loin de sa peine, loin de ses
larmes qui se sont taries depuis longtemps…





Le
facteur vient de passer. Gwendoline trie son courrier : des prospectus,
encore des factures… Et soudain sa vue se brouille, un vertige la prend, la
lettre qu’elle tient dans sa main tremblante, cette lettre est-ce une
hallucination ? Elle la repose sur la table, se lève en titubant, se
mouille le visage, boit un grand verre d’eau et revient s’asseoir. Elle reprend
l’enveloppe, la regarde avec des yeux hagards, la caresse ; c’est bien
l’écriture d’Eric !!! Après quinze années de silence, d’incompréhension,
de souffrance, de solitude, voilà une lettre qui arrive du fond de l’Inde, une
lettre de Lui, de son amour toujours aussi vivant… Elle se décide enfin à
l’ouvrir et la date lui saute aux yeux : il y a plus d’un mois qu’elle a
été écrite. Emue comme une collégienne, elle la parcourt en zigzag, avide de
savoir, de comprendre. Mais elle saute trop de phrases, beaucoup de choses lui
échappent. Le visage ruisselant de larmes, elle reprend depuis le début et
s’efforce de lire jusqu’au bout le message de son bien-aimé :








A toi mon amour,





Après toutes ces années, il est très
difficile pour moi de commencer cette lettre. Pourtant il est temps que tu
saches pourquoi, subitement, j’ai disparu de ta vie. Notre amour n’a jamais été
en cause et c’est plutôt pour te protéger, pour Te et préserver, que j’ai dû
m’exiler.



Plusieurs mois avant notre rencontre, un
ami m’avait offert un chat Siamois. Un jour brusquement, celui-ci m’a lacéré le
bras (tu m’as demandé d’où venait cette cicatrice et je ne sais plus quelle
explication je t’ai donnée). Je m’en suis débarrassé et je n’ai jamais plus
supporté la présence d’un chat. Quelques semaines avant ma fuite, je ne peux
employer un autre mot car il fallait que je m’en aille pour te protéger, un
dermatologue, en voyant des taches suspectes sur mon bras, a pratiqué des
examens m’a révélé que j’avais la lèpre. Le monde
s’écroulait
autour de moi. La lèpre au vingtième siècle, dans un pays riche ! Ce
médecin se moquait de moi. Mais en parlant du Siamois, il a confirmé son
diagnostic. Pour l’instant, je n’étais pas contagieux mais je pouvais le
devenir. Il y avait dans un village reculé de l’Inde, un dispensaire qui
testait un nouveau médicament. Je n’ai pas voulu ni t’exposer, ni que tu sois
le témoin de ma déchéance.



Au début, le traitement semblait agir et
je me pris à espérer. Pas une minute, je n’ai cessé de penser à toi. Chaque
jour, je t’écrivais pour te crier mon amour, pour te dire que je me battais
pour toi, pour nous. Mais toutes les lettres sont restées dans mon tiroir. Les
années ont passé et soudain une rechute est arrivée. Le mal s’est propagé et le
verdict est tombé : incurable. Le médicament m’a aidé à supporter mes
douleurs. Mais aujourd’hui je sais que bientôt je ne pourrai plus tenir un
stylo pour te dire combien je t’aime, combien tu m’as manqué. Une des photos de
notre mariage que j’ai emportée avec moi, je l’ai usée à force de la toucher et
de la mouiller de mes larmes. Je sais que tu es retournée dans ta maison
familiale et c’est pourquoi j’envoie ma lettre à cette adresse. Si tu la lis,
mon amour chéri, c’est que je serai parti ».






Gwendoline s’arrête à ce passage. Ses yeux
sont tellement remplis de larmes qu’elle ne peut plus déchiffrer aucun mot. Son
cœur s’emballe, sa gorge se serre, elle croit étouffer… Eric est mort !
Quel mot atroce. Il résonne dans sa tête, dans son cœur. Elle ne le verra
plus ! Depuis tant d’années, au fond d’elle-même, une petite étincelle
d’espoir brillait toujours. Et à présent, c’est vraiment fini, plus jamais son
sourire, plus jamais son parfum, plus jamais ses caresses. Gwendoline souffle
un grand coup dans son mouchoir et se décide à terminer la lecture de la
lettre :







« J’aimerais être assez conscient lorsque ce moment arrivera pour
pouvoir t’imaginer près de moi. Je te regarderais intensément. Ton visage tant
aimé, ton sourire si chaleureux me donneraient du courage pour quitter cette terre
qui va recouvrir mon enveloppe charnelle. Mon âme, s’envolera je l’espère, vers
la Lumière d’où je veillerai sur toi.



Je voudrais que tu ne m’en veuilles plus
de ce long silence, que tu saches que je suis en paix, que tu gardes mon image
intacte. Et surtout, surtout ma douce Gwendoline, après le choc de ma lettre,
après toutes ces années de solitude, il faudra que tu apprennes à vivre, à
regarder vers l’avenir et poursuivre ton chemin vers un nouveau destin. Un
jour, nous nous retrouverons et nous serons réunis pour l’éternité. Je
t’embrasse comme je t’aime.







Eric






PS : Tu recevras par courrier
séparé les lettres que j’ai conservées ».









Deux
ans plus tard, à la vitrine d’un libraire, deux gros livres épais
intitulés : « Lettres à Gwendoline » attirent l’attention des
passants. Nom de l’auteur :









ERIC





Gwendoline, souriante,
dédicace chaque livre : « A tous ceux qui souffrent et aux autres
aussi, pour qu’ils n’oublient pas qu’au- delà de la mort, l’Amour perdure et
triomphe ».
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