le feu s'ennuyait fort à irradier et à bruler tout seul , brasier stellaire , fournaise de soleils , pure énergies sans nom , sans forme et sans histoire .
sans commencement ni fin , sans ignorance ni connaissance , sans ennemie ni ami , sans attraction ni répulsion , le feu s'ennuyait vraiment .
pourtant , il était torturé par un intense , un ardent désir de faire , d'agir , de dépenser son énergie , une soif inextinguible d'expérience .
alors , il se mit à rêver .
ce furent d'abord des formes légères , impalpables , évanescentes , qui surgissaient , dansaient , voltigeaient et s'évanouissaient aussitôt .
ainsi fut créé l'air .
ces formes étaient d'une délicatesse chatoyante , d'une liberté , d'une agilité , d'une fantaisie merveilleuse , mais elles étaient insaisissables , complètement dénuées de consistance , et se volatilisaient dans tout les azimuts .
le feu restait insatisfait dans sa soif d'expériences concrètes .
alors il plongea dans un profond sommeil .
les formes aériennes s'alourdirent , s'alanguirent , se relâchèrent , et se mirent à couler , en masse liquide , où tout s'unifiait , se nivelait , se dissolvait .
ainsi fut créée l'eau .
c'était certes une détente , une pacification , un accord intime , une osmose et une effusion quasi extatiques , et le feu sentait qu'il pourrait s'engloutir totalement , définitivement , dans ce milieu fluide , sans différenciation ni contour .
mais l'impulsion initiale , la soif d'expérience étaient toujours présentes , insistantes , impérieuses .
alors , il se concentra , se durcit , se cristallisa , se fractionna , se matérialisa dans une multitude innombrable choses et de créatures solides , ayant une masse et des contours bien définis .
ainsi fut créée la terre .
de par le feu qui les animait , ces choses et ces créatures agissaient , évoluaient , se transformaient , naissaient et mourraient .
et le feu pouvait de la sorte faire enfin toutes les expériences possibles .il pouvait enfin se dire :
je suis ceci, et pas autre chose , j'ai un commencement et une fin , je sais , je ne sais pas , je veux , je ne veux pas .
a travers l'eau , lorsqu'il se sentait trop figé , crispé , isolé dans un corps rigide , il pouvait s'abandonner , se fondre , se couler dans d'autres formes .
a travers l'air , il pouvait rêver , danser , jouer , circuler , s'affranchir des limitations de la pesanteur.
mais à force d'habiter tant de formes , de se raconter tant d'histoires , de s'affubler de tant de rôles , à force de se disperser dans l'air , de s'eteindre dans l'eau , de se refroidir dans la terre , il finit par se prendre au jeu et par oublier ses origines , sa véritable nature , y compris et surtout la pure lumière dont il était lui-même issu .
comme s'il s'était lui-même ensorcelé , au point d'en être infiniment obnubilé ;" je suis caillou, rivière , brin d'herbe , sapin , je suis fourmi , grenouille , cheval -je suis un homme "
auteur inconnu