| | Histoire vécue romancée: GABRIELLEChapitre 1 Pierre court avec son thermos de café au lait et arrive tout essoufflé à l’hôpital, impatient de voir maman comme chaque jour. Dès sa sortie de l’école, il passe à la maison pour préparer avec amour le café | |
| | Auteur | Message |
---|
Reïna
Nombre de messages : 2731 Age : 87 Localisation : Toulon Date d'inscription : 04/01/2010
| Sujet: Histoire vécue romancée: GABRIELLEChapitre 1 Pierre court avec son thermos de café au lait et arrive tout essoufflé à l’hôpital, impatient de voir maman comme chaque jour. Dès sa sortie de l’école, il passe à la maison pour préparer avec amour le café Dim 22 Mai - 17:59 | |
| Chapitre 1
Pierre court avec son thermos de café au lait et arrive tout essoufflé à l’hôpital, impatient de voir maman comme chaque jour. Dès sa sortie de l’école, il passe à la maison pour préparer avec amour le café au lait que maman aime tant. Ses yeux brillent de joie et de fierté lorsqu’elle voit entrer dans sa chambre son petit bonhomme de treize ans…
Couchée dans ce lit blanc anonyme, entre les soins et les visites des médecins, le temps lui paraît long et son regard se pose souvent vers la porte, attendant avec impatience qu’elle s’ouvre pour laisser entrer son garçon tant chéri… Jamais il n’a manqué leur rendez-vous. Pourtant, il a fort à faire entre ses devoirs, les corvées de la maison et la surveillance de ses jeunes frères, Rudy et Farid. Aujourd’hui, dans le long couloir qui sent les médicaments et la javel, une infirmière l’arrête dans sa course : « n’entre pas petit, tu ne peux pas voir ta maman !
« Pourquoi, je veux la voir, elle m’attend, j’ai son café au lait. Laissez-moi passer ».
Il se rebelle, furieux mais déjà il sent des larmes mouiller ses yeux, sa gorge se serrer à l’étouffer, son cœur battre la chamade. Quelle catastrophe va-t-il apprendre ? Sa maman est-elle plus mal ? Un mauvais pressentiment lui serre la poitrine et il fixe l’infirmière d’un regard perdu, implorant : qu’elle parle, qu’elle lui explique !! Pourquoi aujourd’hui ne peut-il pénétrer dans la chambre où sa maman l’attend ? L’infirmière le prend contre elle, avec précaution, bienveillante, émue aussi. Elle le connaît depuis si longtemps. Elle lui chuchote à l’oreille : « ta maman ne souffre plus, Pierre. Elle s’est endormie pour toujours et est montée au ciel. Sois courageux. Tu es grand, tes petits frères vont avoir encore plus besoin de toi ». Elle continue à le maintenir, de crainte qu’il ne se sauve. C’est bien ce qu’il a envie de faire, de prendre ses jambes à son cou et de courir dans la rue, loin de ce lieu de cauchemar, et de hurler sa peine, sa colère, son incompréhension. Comment peut-elle lui demander d’être courageux ? Malgré les responsabilités qui pèsent sur ses épaules depuis tant d’années, malgré sa maturité précoce, treize ans, c’est encore un âge où l’on aimerait rire, chanter ; c’est un âge où on refuse la mort, on ne la comprend pas, on la rejette… Ne plus voir sa maman si belle, si vulnérable ; ne plus voir son sourire tellement tendre, tellement complice, ne plus toucher sa main brûlante de fièvre, ne plus éponger son front moite de sueur, ne plus pouvoir lui raconter l’école, les caprices de ses frères, le repas trop cuit ou pas assez salé ; il ne peut imaginer ce silence définitif, cette absence injuste et cruelle… Il voudrait la voir encore une fois, déposer un baiser sur sa joue amaigrie, mais le médecin arrivé entre temps, s’y oppose aussi : « ce n’est pas un spectacle pour toi, garde de ta maman une image reposée, souriante, expressive ».
Dans la rue, les gens vont et viennent, indifférents. Comment pourraient-ils connaître son immense chagrin, son désarroi ? C’est toujours la même rue et pourtant il ne la reconnaît plus. Il se trouve plongé dans un monde hostile, inconnu, irréel… Il avance, la vue brouillée par des larmes amères, les jambes molles, la tête bourdonnante de mille pensées qu’il n’arrive pas à classer. Que va-t-il faire ? Que faut-il faire ? A qui parler ? Comment joindre papa, l’avertir ? Doit-il dire à ses frères si jeunes encore qu'ils sont orphelins, que leur maman s’en est allée, qu’ils ne la verront plus ? Il est vrai que ces dernières années, ils ont eu très peu l’occasion de l’avoir près d’eux… Ses absences répétées de la maison, ses séjours réguliers à l’hôpital, les ont habitués à se retrouver seuls, soit à l’orphelinat, soit placés dans la famille, soit à la maison comme ces derniers jours avec leur grand frère. Pierre, a depuis longtemps, été pour eux une « petite mère », dévoué, attentionné, protecteur.
Arrivé à l’appartement, Pierre trouve papa déjà là, les yeux rouges, prêt à partir pour l’hôpital. Il se jette dans ses bras et sanglote, affamé d’affection, de réconfort. Mais papa n’a pas le temps de céder à l’émotion ; il le repousse gentiment mais fermement et sort en refermant la porte sur les trois gamins… Rudy et Farid viennent se coller dans les jambes de leur frère, inquiets, désemparés, ne comprenant pas ce qui se passe. Pourquoi ces pleurs ? Pourquoi ce regard sévère et triste à la fois de papa ? Pourquoi Pierre reste-t-il muet, immobile ? Ils finissent par pleurer eux aussi sans savoir pourquoi, mais devinant que quelque chose de terrible vient de se produire. Vont-ils encore une fois partir du foyer familial ? Seront-ils avec leur grand frère qui sait si bien les protéger ou bien seront-ils séparés à nouveau ? Pour combien de temps ? Pour aller où ? Ils tirent sur le pantalon de Pierre pour attirer son attention, pour ramener vie à son visage de cire qui leur fait si peur. Enfin celui-ci semble sortir de sa torpeur. Son regard fait le tour de la pièce, espérant voir surgir leur maman bien vivante, enfin guérie, préparant le repas ou repassant des chemises… Mais ils ne sont que tous les trois, les plus jeunes attendant une explication qui ne vient pas. Alors, Pierre, tel un automate, fait chauffer deux bols de lait bien crémeux et les pose sur la table, invitant ses frères à boire. Il les regarde se régaler, déjà à demi rassurés, et va s’enfermer dans sa chambre. Ils sauront toujours assez tôt. Pour l’instant, il a besoin de se retrouver seul, seul avec sa peine, seul avec ses souvenirs.
Chapitre 2
Il se revoit entrant pour la première fois à l’école primaire de Remiremont à l’âge de sept ans. Il arrivait de Mulhouse où il avait vécu chez sa « grosse muter » tant aimée, à qui on l’avait arraché, sans explications, juste parce que maman s’était mariée et désirait reprendre ses enfants avec elle. Papa Schmidt avait accepté avec joie ces trois garçons alors âgés de sept, trois et deux ans et à qui il avait donné son nom en même temps que son amour. A partir du moment où il franchit sa nouvelle école, son enfance heureuse, choyée s’en est allée. Il devint d’un seul coup le « sale boche », celui qu’on tient à l’écart, qu’on maltraite. Il y avait même un instituteur qui encourageait les élèves à le battre et qui lui « donnait » également du « sale boche ». Toutes les corvées de bois, le nettoyage du fourneau étaient pour lui. Peu importaient à ces messieurs de l’Education nationale que ce petit bout de sept ans, trapu, ait suffisamment de force ou pas pour faire tout ce travail. Il est vrai qu’il ne parlait pas Français ou si peu : ambulance, police, non, oui, merde… Il ne connaissait que l’Alsacien et, dans cette ville des Vosges, grands et petits le méprisaient. Il n’y avait qu’un instituteur, monsieur Pie, qui pas d’accord avec ses collègues, le défendait. Mais ceux-ci, remplis de haine, n’essayaient pas de comprendre qu’un enfant alsacien n’était pour rien dans la tragique tourmente de cette guerre. A la récréation, les enfants le harcelaient sans cesse, l’insultaient, le battaient. Il se protégeait comme il pouvait et rendait coup pour coup. Mais ce fut pourtant lui qu’on renvoya de cette école. Malgré les plaintes de ses parents, le directeur refusa de le réintégrer et il fut inscrit à l’école privée des Frères Saint-Joseph, école de confession catholique. Or Pierre étant protestant, les Frères l’acceptèrent, avec l’obligation de se convertir au catholicisme. Lassés de tout, ses parents optèrent pour cet ultimatum.
Que de changements en si peu de temps ! Que de chagrins refoulés ! Que de larmes versées le soir, dans le noir, loin des regards de maman ou papa. Il fallait faire bonne figure, ne pas ajouter à leur peine. Heureusement que le Père Schmidt était un gros et excellent travailleur, estimé, et peu à peu, le temps passant, cette animosité, cette haine s’estompèrent… Mais la douleur resta dans le cœur de Pierre. Il aimait bien et respectait son nouveau papa, homme dur envers lui-même et les autres, sévère, « gueulard » mais toujours juste. Jamais il n’a fait sentir à ses enfants, par des mots ou des attitudes, qu’il les avait reconnus. Pour lui, ils étaient ses enfants. Pour Rudy, Farid et Pierre, il était papa. Mais Pierre rêvait souvent de son père biologique, ce héros qui était entré dans la résistance et qui, pris par les Allemands, avait été fusillé sur le champ. Cela, Pierre l’avait appris il n’y avait que quelques mois. Sa maman lui avait raconté cette tragédie, peut-être parce qu’elle sentait déjà qu’elle était sur le départ. Pierre avait six mois à la mort de ce père qu’il n’a jamais connu, dont il n’a jamais su le nom, maman étant restée secrète à ce sujet. Quant au papa de Farid et Rudy, il s’est tué dans un accident de moto, laissant la jeune femme avec un enfant d’un peu plus d’un an et le second de quelques mois.
Et aujourd’hui, elle s’en est allée ; peut-être a-t-elle retrouvé son papa. Mais lui, reste avec un gros poids sur le cœur. Que va-t-il advenir de ses frères et de lui ? Ils ont tellement été tous les trois placés à droite et à gauche pendant des années, avec des allers et retour à la maison. Il faut dire que maman chérie a reçu des éclats d’obus, lors d’un bombardement, au ventre, et, depuis elle n’a cessé de faire des séjours à l’hôpital pour être opérée, ou dans des maisons de convalescence. A neuf ans, il est retourné pendant huit mois à Mulhouse et ses frères placés dans la famille. A dix ans, il a vécu avec ses deux frères pendant un an à Dommartin, dans une ferme, car maman se trouvait à Nice dans une maison de repos. Celle-ci se situait dans le lieu-dit La Poirier, à flanc de montagne. De la ferme, la vue donnait sur une vallée verdoyante. Une belle et luxuriante forêt offrait à Farid et Pierre une promenade, les jeudis et dimanche lorsqu’ils n’avaient pas classe. La gardienne de la ferme, une vieille femme les accompagnait parfois. Mais lorsqu’elle entendait des coups de mine pour faire sauter les roches, elle se cachait dans les fourrés en criant « voilà, les Russes reviennent, ils arrivent ». D’autres fois, les deux enfants partaient seuls, en prenant beaucoup de précautions parce que les chemins de la forêt présentaient souvent des dangers. Heureusement, des pancartes, ici ou là, indiquaient « attention danger ». Il fallait donc être très prudents la forêt étant jonchée de toutes sortes de débris de la guerre : mines, vieux fusils, cartouches. Étais-ce l’inconscience de l’enfance, ou bien Pierre étant déjà très mur pour son âge, (il faisait d’ailleurs partie des éclaireurs de France), toujours est-il, qu’ils avançaient vaillamment, heureux de ces moments de liberté. Ils rentraient dès la tombée de la nuit, affamés et impatients de déguster la soupe chaude. Papa, toujours en déplacement, ne pouvait s’occuper d’eux. A onze ans, revoilà Pierre, à Bussang, placé dans un orphelinat pendant huit mois et ses frères dans la famille. Encore séparés, encore déchirés, toujours des larmes… Que de mauvais souvenirs a-t-il gardés de cet endroit ! Les sœurs étaient sévères, méchantes même. Le matin à cinq heures, il devait servir la messe, sans rien dans l’estomac. Une fois, il s’est évanoui et personne n’est venu le secourir. Il est resté allongé sur le sol, sans connaissance tant que la messe a duré. Ce n’est qu’à la fin, qu’on s’est occupé de lui. Pourtant papa payait sa pension ; il venait le voir assez régulièrement dès qu’il le pouvait…
Pierre sent sa gorge se serrer à ces souvenirs, sa poitrine semble être sur le point d’éclater, les battements de son cœur s’accélèrent, va-t-il lui aussi s’endormir pour toujours ? Va-t-il rejoindre déjà maman ? Il aimerait bien être avec elle et en même temps, il pense à ses frères, si vulnérables, que deviendraient-ils ? Encore un souvenir atroce l’envahit à nouveau. Toujours l’orphelinat de Bussang. Pour avoir la paix, les sœurs laissaient les enfants dans leur lit lorsqu’ils n’avaient pas cours. Un petit garçon de dix ans, un peu simplet, très rachitique, pleurait et sanglotait dans son lit. Une gardienne surgit et le mit sous une douche froide en le rouant de coups avec un bâton. C’était plus que Pierre n’en pouvait supporter. Il se rua sur la mégère pour lui faire lâcher prise : résultat, coups de nerf de bœuf, trois jours de cachot avec de l’eau et du pain sec. Lorsque papa l’apprit la semaine suivante, il rentra dans une grande colère et retira Pierre de ce lieu infernal.
Pierre entend encore les cris du petit martyre, il revoit les yeux pleins de haine de la gardienne pendant qu’elle frappait et frappait encore… La colère qu’il a eue ce jour-là, remonte à la surface ; il ressent l’humiliation et la peur du cachot. Mais il ne regrette pas son geste, il recommencerait s’il le fallait. Depuis, il est toujours aux côtés des plus faibles, des opprimés, des malmenés.
… Des cris venant de la cuisine avec des bris de verre interrompent ses pensées. Il refait surface, étonné de se trouver dans sa chambre, et tout son chagrin revient. Le cauchemar continue. Maman est couchée dans son lit d’hôpital, endormie pour toujours. Il se dirige en titubant vers la cuisine, les yeux brouillés de larmes et ouvre brutalement la porte : « Que se passe—il » ?
Les deux mômes ne pipent mot. Mais Pierre a surpris Farid secouant Rudy comme un prunier. « Pourquoi cette dispute » ? Demande-t-il.
Farid « il a cassé son bol »
Rudy en hoquetant, murmure « il m’a glissé des mains lorsque j’ai voulu le mettre dans l’évier pour t’aider. J’ai pas fait exprès ».
Pierre se sent perdu, démuni, quelques pleurs, quelques cris pour un bol cassé, comment alors peut-il être le messager d’une chose aussi horrible à dire, comment trouver les mots qui pourraient adoucir quelque peu sa révélation ? Il les prend tous les deux contre lui et les serre très fort, trop fort peut-être, mais les gamins n’osent rien dire. Il sent leurs cœurs battre très fort. Ils sont si jeunes, huit et neuf ans. Après toutes ces années, éloignés trop souvent de la maison familiale, loin d’une maman toujours malade et d’un papa obligé de s’absenter pour gagner l’argent du ménage, que va-t-il advenir ?
Pierre repousse gentiment ses frères et les fait asseoir autour de la table recouverte de la jolie toile cirée et sur laquelle une bouteille en plastique garnie de marguerites égaie un peu la pièce. Un silence pesant s’installe. Farid et Rudy ont les yeux fixés sur leur frère qui ne sait comment s’y prendre pour annoncer l’horrible nouvelle. Il a lui-même déjà tant de peine, il vit tout éveillé un cauchemar qui ne prendra jamais fin, il cherche ses mots, regarde les deux enfants apeurés, ému de voir ces deux visages tournés vers lui, interrogatifs, n’osant poser des questions. Ils attendent, muets, ce que Pierre va leur dire.
Un gros soupir s’échappe de la poitrine de l’aîné, il ne faut pas qu’il pleure pendant qu’il leur parlera, ses larmes doivent rester au fond de son cœur. Il a toujours été leur protecteur, leur soutien ; bien que Farid n’ait que quatre ans de moins que lui, celui-ci n’a jamais eu l’idée de le seconder, de le décharger de tout ce poids si lourd pour un garçon déjà trop mûr pour son âge. Il a été pour eux deux, un frère, mais aussi une maman, quelqu’un qui était disponible, souvent fatigué, parfois grondant et élevant la voix, mais toujours avec le même amour dans ses yeux bleus, la même affection, prêt à les défendre, à les protéger lorsqu’à l’école ou à l’assistance, ils étaient malmenés
« Voilà, commence Pierre, la voix rauque, ses mains serrées fortement jusqu’à blanchir ses doigts pour se donner le courage de parler. Il serre tellement fort ses mains qu’elles lui font mal et ainsi, pense-t-il, l’autre douleur, celle qui ne se mesure pas, celle qui anesthésie, pourra l’aider à aller jusqu’au bout de l’horreur. Je dois vous parler comme à deux grands garçons que vous êtes. Je vous aime très fort et je serai toujours là pour vous. Vous savez combien maman souffrait, doublement, de par sa maladie, et de ne pouvoir être aussi présente à nos côtés. A présent, elle n’a plus mal. Elle s’est endormie calmement, enfin délivrée. Elle restera dans nos cœurs.
Chapitre 3
Ce mois d’août est chaud, trop chaud, mais après tant de froid et de neige, Pierre et ses copains ne peuvent que s’en réjouir. Ils ont la chance d’avoir de belles forêts à parcourir, de respirer l’odeur vivifiante de la sève des pins, d’être en communiant avec la nature. A dix ans, il est presque le meneur, celui que l’on suit, qui protège, à qui on obéit. Ses frères et lui, surtout lui, l’aîné, ont eu le bonheur d’avoir une maman qui, lorsque sa santé lui donnait quelques répits, avait l’habitude de les emmener faire de longues promenades en forêt et ainsi, Pierre a appris à découvrir et à aimer la nature. Elle leur nommait le nom des différentes plantes et fruits des bois, avec amour et respect. Ce qui fait que Pierre a très vite su cueillir noisettes, framboises, fraises des bois, brimbelles, en août et septembre. Maman en faisait des confitures mais Pierre s’arrangeait pour en cueillir toujours plus pour en revendre et avoir quelques pièces pour ses frères et lui. Au printemps, c’étaient des jonquilles qu’il vendait par brassées et de la digitale, maman lui avait appris à la reconnaître, que le pharmacien lui achetait régulièrement pour ses préparations. Aujourd’hui, en sueur, il joue avec ses frères et ses compagnons, la télévision qu’ils n’ont pas, ne leur manque pas. Ils préfèrent parcourir des kilomètres au travers de cette immense forêt qu’ils connaissent par cœur, sentir la brise sur leur visage, admirer de loin cerfs, biches, lapins qui filent craintifs. Pourtant, aucun d’eux, n’aurait eu l’idée de leur faire du mal. Parfois, Pierre, très réceptif, croit entendre des chuchotements dans les branches des arbres et il ralentit pour écouter, un peu honteux de paraître indiscret et d’interrompre une conversation entre ces arbres si hauts, si majestueux. Car un arbre, ça vit, n’est-ce pas ? Parfois des ramiers s’envolent des branches des sapins et vont plus loin, toujours plus loin. Pierre aime entourer ses bras autour de leur tronc et fermant les yeux, il emprunte un peu de leurs forces et les remercie de faire partie de son univers.
Après leurs jeux et leurs cueillettes, les enfants s’assoient quelques minutes pour grignoter leurs casse-croûte avant de reprendre le chemin du retour.
…Pierre seul à nouveau dans sa chambre, attendant le retour de papa de l’hôpital, revoit cette belle journée, pourquoi celle-ci précisément ? Il ne sait, puisqu’il y en a eu d’autres aussi agréables. C’est cette nature, cette vie au grand air qui lui a donné cette force de caractère, ce désir de lutter, car combien de jours, d’années de tristesse, de solitude a-t-il dû supporter ! Il se souvient de la pension de La Poirier où il avait été placé à onze ans, une fois de plus, et du parcours qu’il devait effectuer à pieds, dans la neige, jusqu’à l’école de Remiremont, distante de neuf kilomètres, ce qui lui faisait au retour, dix-huit kilomètres dans ses petites jambes. Un soir, en revenant de l’école, il a failli être emporté par une crue brutale de la Moselle. Instinctivement et ne perdant pas son sang-froid, il a grimpé tel un singe au haut d’un arbre. C’était la tombée de la nuit et il n’a eu la vie sauve que grâce au garde champêtre qui, de loin avec des jumelles, avait vu la scène et est venu en barque le secourir.
A douze ans, il a la joie de retourner à Mulhouse chez sa grand-mère adorée, mais une joie très mitigée puisque une nouvelle fois encore sa maman part à l’hôpital. On le sépare de ses deux frères qui eux, vont à Zain Villers dans une famille d’accueil. Il y reste six mois à Mulhouse, gâté et cajolé comme un coq en pâte. Pendant ces six mois, sa tristesse d’être séparé de ceux qu’il aime, est largement compensée par les gâteries et la tendresse de grosse muter qui avait retrouvé pour un temps son Pierrala. Le jeudi, son plaisir était de la regarder pendant des heures cuisiner et confectionner des gâteaux dont le goût est encore sur ses lèvres. Et puis, il y avait le rituel goûter tant attendu de petits biscuits secs accompagnés de thé bien sucré. Presque tous les jours aussi, en sortant de l’école ou bien une partie du jeudi, il allait chez un voisin artisan serrurier et prenait plaisir à le voir travailler. Très jeune, il fut curieux de tout et il s’extasiait de voir la dextérité et la rapidité du serrurier. Lorsqu’une pièce était terminée, son regard s’illuminait et il fixait d’un air ébahi l’ouvrage fini, qu’il s’agisse de rampes de balcon, de portail façonné ou tout autre portique. L’artisan aimait le voir arriver et tout en travaillant il lui expliquait ce qu’il faisait. Il avait un auditeur et un spectateur attentif et admiratif. Ils bavardaient tous les deux et le garçon ne cessait de poser des questions. Un sourire aux lèvres, le serrurier, appelé de nos jours ferronnier, ne perdait jamais patience et répondait avec gentillesse et sympathie. Il avait beaucoup d’affection pour Pierre qu’il avait déjà connu jusqu’à l’âge de sept ans avant qu’il ne soit retiré à sa gross muter.
Chapitre 4
La porte d’entrée claque et vient interrompre les souvenirs de Pierre. Il sort de sa chambre et va accueillir son papa qui serre les trois garçons dans ses bras. Ses yeux sont rouges et gonflés. Il n’a pas très envie de parler mais il comprend qu’il ne peut laisser s’installer ce silence si lourd. Les enfants ont besoin de réconfort, de soutien, de présence… Mais que leur dire ? Comment leur exprimer son propre chagrin ? Papa Schmidt est un être entier, bourru, pas très loquace, si ce n’est pour élever la voix et réprimander les petits, ô sans méchanceté, mais aussi sans complaisance… Engagé pendant douze dans la Marine, il avait appris à obéir, mais aussi à commander. Aujourd’hui, il cherche ses mots, il a définitivement la charge, l’éducation de ses enfants et pour lui, rien n’est facile.
Ils s’assoient tous les quatre autour de la table et trois paires d’yeux sont rivées sur son visage, des yeux inquiets, curieux, emplis de larmes qu’ils refusent de laisser couler de crainte d’indisposer leur père. Mais leur regard expressif parle tout seul. Il implore leur papa de parler, de raconter. Ils ont besoin d’entendre le son de sa voix, même si les vitres devraient en vibrer. En effet, papa devint sourd en 1939 à Dunkerque, lors de la débâcle et alors qu’il se trouvait sur le bateau de guerre Duguay-trouin. D’où sa façon de « gueuler » plutôt que de parler. Et lorsqu’il est en colère, sa voix explose encore plus et les murs en tremblent.
Mais en ce moment-ci, c’est d’une voix inconnue d’eux, toujours forte, mais douce en même temps, dans un Alsacien plus chantant qu’il s’adresse à eux : « Pierre vous a déjà dit que votre maman a rejoint le Bon Dieu. Enfin, elle ne souffre plus. Malgré notre grand chagrin, nous devons être heureux que toutes ses douleurs se soient envolées. Gardez-la toujours dans votre cœur et nous allons faire une prière pour qu’elle reste dans la lumière et continue de veiller sur vous. Là où elle se trouve, elle vous voit et vous aime. Prions ».
Un silence épais envahit la pièce où chaque objet ne semble plus à sa place, où chacun des enfants croient être transportés dans une autre dimension. Et puis, tout à coup, d’une seule voix, ils récitent le « Notre Père ». La tension est trop forte, le chagrin trop lourd, de gros sanglots s’échappent des poitrines des trois orphelins. Papa, lui, laisse des larmes muettes glissaient le long de ses joues. Il ajoute au bout d’un moment : « l’enterrement aura lieu le huit décembre ».
Cette année mille neuf cent cinquante-six marqua la fin de la jeunesse heureuse de Pierre malgré la maladie de maman, malgré ses placements à droite et à gauche. Il avait à l’époque, toujours l’espoir que maman guérirait ; tant d’opérations ne pouvaient aboutir qu’à un rétablissement définitif et durable. Il redécouvrirait ainsi, la maman rieuse, chaleureuse, qui tricotait et brodait de si beaux pulls, peignait de tendres aquarelles, confectionnait d’excellents gâteaux. Et aujourd’hui, à trente sept ans, elle s’en est allée ailleurs, mais où ? Comment pourra-t-il supporter son absence ? Ses frères et lui vont-ils encore être séparés ? Il se souvient, justement, de son retour à Bussang avec Farid et Rudy, placés tous les trois à l’assistance publique comme l’on disait alors, pendant neuf mois, maman étant partie dans une maison de repos à Nice. A l’époque, il avait douze ans et demi et pour lui ce fut une prison, un enfermement, un étouffement.
Si papa pouvait trouver une solution pour les garder près de lui !! Mais il sait déjà que cela va être impossible. Après la Marine, papa est devenu plombier chauffagiste et toute la semaine, il part sur des chantiers loin de Remiremont, pour ne revenir que le samedi et dimanche. Et dans deux jours, maman va être recouverte de terre, ensevelie à jamais.
Chapitre 5
Un froid glacial tombe sur la ville recouverte de neige qui ne cesse de descendre d’un ciel blanc et bas. Le temps est à l’unisson avec cette journée de tristesse, de désarroi. Papa, Pierre, Farid et Rudy suivent le corbillard, tête baissée, ne pouvant arrêter le flot de larmes qui s’écoulent de leurs yeux. De temps en temps, Pierre mouche l’un de ses frères. Ils ont à parcourir deux bons kilomètres depuis la maison, jusqu’à l’église, puis le cimetière. Les enfants claquent des dents, leurs mains sont gelées et leurs orteils sont raidis dans leurs bottes trempées. Pierre avance comme un somnambule, imaginant vivre un cauchemar. Il va se réveiller, c’est sûr ! Ce n’est pas possible que maman soit partie pour toujours. Il l’aime tant ! Il s’est tellement de fois occupé d’elle avec tendresse, avec douceur, prévenant le moindre de ses désirs, la regardant lorsqu’elle était assoupie, reposée pendant quelques temps par les calmants. Mais ce répit ne durait pas longtemps. Pierre se revoit lui épongeant le front, lui caressant la main ou bien lui lisant quelques pages de lecture. Et son plus beau souvenir, c’est de voir maman souriant malgré sa souffrance lorsqu’il arrivait, tout fier, jamais en retard avec son thermos de café au lait. Pour elle, c’était un moment privilégié. Elle se régalait de la boisson chaude et ses yeux, tellement cernés, ne quittaient pas Pierre du regard. Lorsqu’il était obligé de repartir, il l’embrassait sur la joue et tous deux se disaient « à demain ».
Il n’y aura plus de demain. Le cortège arrive à l’église où déjà une foule attend, recueillie. Tout le monde connaissait Gabrielle, ses longues années de souffrance supportées avec courage et sans jamais se plaindre. Pourtant, parfois, lorsqu’une amie, un voisin ou un parent venaient la voir, elle ne pouvait s’empêcher de leur prendre la main et la gorge remplie de larmes, de dire : « Que vont devenir mes petits » ?
Il fait aussi froid à l’intérieur de l’église, peut-être parce que le cœur de Pierre est comme un bloc de glace. Il entend de très loin la voix du curé faisant l’éloge de la disparue et de la famille Schmidt. L’assemblée récite le Notre Père et je Vous salue Marie. Les lèvres bleuies de Pierre s’ouvrent et se ferment sans qu’aucun son ne sorte de sa bouche. Son corps est là, présent, mais il a l’impression d’y être sorti, de regarder, muet, une scène qui ne le concerne pas. Lorsque papa lui touche l’épaule, il sursaute. La cérémonie est terminée et à présent le cortège se dirige vers le cimetière. L’inhumation est très courte. Le cercueil descendu en terre commune, chacun jette une pelleté de terre avant de s’en retourner à ses occupations. Pierre pose pour la première fois sur son père un regard, à la fois interrogatif et accusateur. Pourquoi pas une sépulture plus digne ? Puis il a honte d’avoir si vite jugé papa qui a sûrement fait pour le mieux avec les moyens à sa disposition. La longue maladie de maman a très certainement coûté très chère et, comment un gamin de treize ans peut-il être au courant des frais d’obsèques !
Le retour à la maison est lugubre. Rudy et Farid se réfugient dans leur chambre sans un mot. Pierre aide papa à dresser le couvert pour recevoir quelques intimes. Des voisins et amis ont pourvu au repas. Il est très triste et étonné d’entendre une cacophonie envahir la pièce, chacun ayant une histoire à raconter, un mot à dire sur le temps « ‘à ne pas mettre un chien dehors », sur les difficultés quotidiennes ; quelqu’un parle même du dernier film sorti et quelques rires fusent. Il n’y comprend plus rien. Il semblerait que maman n’ait jamais existé ou bien qu’elle est tout simplement partie en voyage. Mais lui sait bien que plus jamais, elle ne le serrera dans ses bras, plus jamais elle ne lui sourira de son regard si doux. Il a envie de silence, de se retrouver avec ses pensées, de pouvoir revoir dans sa tête sa maman tant chérie. Il a tellement peur qu’avec le temps passant, il ne se souvienne plus de son visage, de ses traits si beaux. Il veut essayer d’oublier les années de souffrance, de séparation, pour ne se rappeler que les belles promenades en forêt, l’odeur délicieuse des gâteaux sortis tout chauds du four.
Une fois tout le monde parti, la maison paraît encore plus vide. Pierre range la vaisselle avec des gestes d’automate, balaye la pièce et regarde son père, assis à un coin de la table, l’air absent, perdu, vulnérable. Il va vers lui, entoure ses épaules de ses petits bras et lui murmure tout près de l’oreille : « Je suis là, papa, je t’aime. Je vais t’aider » Papa Schmidt ne répond rien, il semble plonger dans des pensées qu’il n’arrive pas à mettre au clair, loin de ce lieu, de cette pièce où une odeur de bonheur s’en est allée, de cette maison qu’il ne reconnaît pas. Pierre ne sait que faire, comment l’obliger à bouger, à revenir près de lui ! Il a tant besoin lui aussi de réconfort, de tendresse. Depuis ce six décembre mille neuf cent cinquante-six jour où maman a fermé les yeux, parfois il lui semble qu’une éternité se soit écoulée, que tout s’est transformé, que le temps a filé et en même temps que les heures se sont arrêtées… Il n’arrive pas à analyser ce qu’il ressent. Depuis deux jours, il va, vient, respire, mange, s’occupe de ses frères et pourtant ce n’est pas lui qui évolue… Le véritable Pierre, l’enfant de treize ans, a laissé la place à un être inconnu ; il a encore plus mûri. Tout à coup, il a l’impression d’être devenu un autre, plus grand, plus fort et en même temps enfermé dans un carcan de douleur, d’injustice, de colère. Il a toujours ses bras autour des épaules de papa et le secoue doucement :
- Dis, qu’est-ce qu’on va devenir ? Tu sais, je peux m’arranger. Avant et après l’école, je m’occuperai des petits, de la maison et nous attendrons que tu rentres le samedi. Crois-moi, je suis courageux. Dis oui, dis oui. Nous voulons rester ici.
- C’est une lourde charge pour toi. Ta bonne volonté ne suffit pas. Laisser trois gamins livrés à eux-mêmes pendant cinq jours ce n’est ni raisonnable, ni même légale.
- Mais où vas-tu encore nous envoyer ? Je ne veux plus être séparé de mes frères. Je leur ai juré aide, protection et affection ! Tu as déjà pris une décision ? »
Papa Schmidt, le regard dans le vague, la gorge nouée de pleurs contenues, lui dit en posant la main sur sa tête blonde : « Je vais me remettre en contact avec l’assistance publique de Bussang. Ils vous prendront tous les trois ou aucun. J’espère que votre séjour ne sera pas trop long. Si tout va bien, dans une semaine vous serez installés là-bas ».
Sur ces mots qui s’enfoncent comme autant de coups de poignard dans le cœur de Pierre, papa Schmidt prend son pardessus, un bonnet et sort sous la neige. La discussion est close.
Pierre ne réagit pas. Tout son corps paraît être transformé en un bloc très dur. Il voudrait crier, hurler, laisser éclater sa douleur, cesser d’étouffer sa peine. Quelque part, son père a raison. Tout ce poids sur ses épaules, les bonnes résolutions qu’il a prises, combien de temps pourra-t-il les assumer ? Il a aussi besoin qu’on s’occupe de lui, qu’on lui demande ce dont il a envie, ce qu’il aime, ce qu’il voudrait faire plus tard… Mais à la seule idée de retourner à Bussang, cette « prison » où il a tant souffert, si souvent pleuré, il sent que c’est au-dessus de ses forces. Il se souvient lorsqu’il passait dans les rues du village avec tous les autres pensionnaires, les moqueries qu’on leur lançait, les quolibets dont on les affublé : « Tiens, ce sont les orphelins qui passent, hou ! hou ! ». Et pourtant, à l’époque, ni ses frères ni lui n’étaient orphelins et à présent, ils le sont à moitié. Mais ce n’est pas une tare que d’être orphelins, se dit-il dans sa tête. C’est la faute à pas de chance ! C’est un mauvais destin. Pourquoi les gens sont-ils si méchants ? Ô, pas tous heureusement… Par exemple, lorsqu’il y avait un mariage ou un baptême, l’orphelinat recevait des victuailles, des gâteaux et des choux à la crème, pour les distribuer aux enfants. Et bien, les sœurs se partageaient le tout et aucun garçon ne voyait jamais une miette d’un morceau de gâteau.
Et voilà qu’il va devoir retourner avec ses frères dans cet endroit sordide, inhumain, sans amour. Il va devoir entendre les réprimandes haineuses, accepter sans se plaindre corvées et humiliations, défendre les plus faibles, consoler les plus petits, entendre son estomac crier famine. C’est au-dessus de ses forces. Pourquoi ne l’a-t-on pas laissé chez sa grosse Muter dont il n’a plus depuis longtemps de nouvelles ? Il ne sait même pas si elle vit encore. Il ne sait pas pourquoi, depuis son mariage avec maman, papa Schmidt a refusé que Pierre ait tout contact avec sa famille maternelle. Grosse Muter était si gentille, si douce, qu’a t’elle pu faire pour qu’on lui interdise d’aller la voir ? C’’est une punition injuste, qu’il ne mérite pas. Les adultes ont trop souvent des secrets qu’ils cachent précieusement et dont les enfants en font les frais. Aujourd’hui, il aurait aimé la voir là, près de lui, pour poser son visage tout contre sa poitrine, lui apprendre que sa fille Gabrielle, contre son gré, les a abandonnés et pleurer tous les deux longtemps, très longtemps jusqu’à ce que la vieille femme renifle fort et lui chante une de ces berceuses qu’il aimait tant !
Chapitre 6
Voilà une semaine que Pierre et ses frères sont à nouveau à Bussang dans cet horrible orphelinat, encore appelé hôpital. En effet, au rez-de-chaussée de l’établissement, se trouvent des personnes âgées, pour la plupart malades et les enfants, lorsqu’ils vont au réfectoire, ne peuvent s’empêcher, les chambres étant laissées ouvertes, de les voir. Certains sont allongés dans leur lit, à moitié dévêtus, se plaignant, criant ou bien encore, les yeux fermés, la respiration lente. Les gamins sont effrayés de ce spectacle. D’autres sont assis dans des fauteuils médicalisés, attachés, la salive coulant de leur bouche, tels des pantins désarticulés. En passant dans les couloirs, Pierre jette à chaque fois un œil sur ces vieillards qu’il regarde tristement mais aussi avec tendresse. Parfois, il entre dans une des chambres, s’assoit près d’un pépère ou d’une mémère, lui sourit et reste un moment à lui caresser la main ou à lui murmurer quelques mots de réconfort. Souvent, il ne reçoit qu’un regard vide, mais quelques fois, un des pensionnaires, les yeux humides de larmes, lui chante une berceuse, croyant peut-être retrouver un petit-fils, ou bien lui donnant un baiser sur le front. Aucun mot n’est échangé entre-deux, mais tant de choses passent dans ces silences… Lorsque Pierre se décide à repartir de crainte de se faire punir, les sœurs leur interdisant d’entrer chez les personnes âgées, une main essaie de le retenir, de prolonger cet instant spécial, c’est avec douceur mais aussi avec tristesse qu’il se détache, par exemple comme aujourd’hui, de Mimile avec regret. Il sait qu’il reviendra quelques minutes demain lui tenir compagnie.
Mais le lendemain, jeudi, il ne peut se rendre près du vieux monsieur Mimile. Un accident dramatique s’est produit : un jeune garçon s’est crevé un œil en tombant sur une flèche. Ses cris terrorisent les autres pensionnaires et ameutent les sœurs qui appellent les secours, mais ne font rien pour consoler le gamin. Au contraire, elles n’arrêtent pas de le traiter de tous les noms et de lui dire que c’est une punition du Bon Dieu, pour ne pas avoir fait attention. L’enfant est emmené sous les yeux de ses camarades et de Pierre qui tient contre lui ses deux petits frères… Il a très envie de pleurer mais il se retient pour ne pas attrister encore plus les plus jeunes. S’il avait pu, il aurait aimé accompagner dans l’ambulance, Sergio, tout juste âgé de sept ans, et lui tenir la main pour le consoler, le rassurer… Un strident coup de sifflet le fait sursauter et l’arrache à ses pensées : punition générale pour ce jeudi, sieste forcée pour tous et défense de bouger du lit ! Personne n’ose bien sûr poser de questions. Tous savent trop ce qu’il en coûte de se rebeller. Ils regagnent leurs dortoirs… Pierre sait très bien ce que cela veut dire : un bol de soupe et un croûton de pain, ce soir à 18 heures…
Pierre n’en peut plus de tant d’injustices. Pourquoi cette punition ? Sergio s’est blessé tout seul ; mais tout est bon pour les faire souffrir alors que chacun, ici, a besoin de tendresse, de douceur… Dans son lit, Pierre pense à Mimile et il se demande si le vieillard réalise qu’il n’est pas passé le voir. Attend-il sa venue ? Lui en veut-il de l’avoir oublié ? La journée s’écoule monotone, dans un silence de plomb, coupé de temps en temps par des sanglots des tous petits… Il pense que demain comme chaque jour, il sera levé à 5 heures pour servir la messe à la chapelle de l’hospice de Bussang, puis ensuite à l’église.
Son père lui a promis qu’ils ne resteraient pas longtemps ses frères et lui dans cet endroit. Qu’appelle-t-il « pas longtemps » ? Pour lui, il lui semble être là depuis une éternité…
Le vendredi après-midi, dès qu’il peut se sauver, il va rejoindre Mimile dans sa chambre. Il le trouve couché dans son lit, les poignets attachés et les barrières remontées. Il l’embrasse sur le front en se penchant parce qu’il n’ose pas baisser les barrières et d’ailleurs, il ne sait pas comme s’y prendre. Mimile ouvre les yeux, lui sourit faiblement tandis qu’une larme coule silencieusement le long de sa joue. Pierre lui caresse le front en lui murmurant une des chansons que sa maman avait coutume de lui chanter. Il ne peut pas rester trop longtemps ici car on peut s’apercevoir de son absence et il n’a pas envie de se retrouver enfermé dans ce sinistre cachot. Après un second baiser, il chuchote « A demain » et s’en va sur la pointe des pieds… Les jours passent lentement, tristement, avec le même rythme, les mêmes gestes, le même chagrin. Il continue à aller visiter Mimile dont la santé décline jusqu’au jour où, en arrivant, il trouve une orpheline de 15 ans, nettoyant la chambre. Elle lui fait un signe de la main pour qu’il s’en retourne avant qu’on ne le surprenne. Il a compris que son ami s’en est allé. Il regarde par la fenêtre et lève les yeux au ciel ; il espère qu’il va rencontrer sa maman. Une prière muette monte de son cœur jusque sur ses lèvres qui bougent silencieusement. Il est certain que là où il est, Mimile est enfin heureux et en paix. Alors un sentiment d’amour l’emplit tout entier. Une sérénité qu’il n’a pas connue depuis bien longtemps l’enveloppe. Il se fait une promesse : temps qu’il vivra, il donnera de l’amour autour de lui…
…Aujourd’hui, n’est pas un jour comme les autres. C’est le mois de mai 1957, et Pierre va célébrer sa communion solennelle à l’église de Bussang. Son papa est là mais il lui manque deux personnes très chères à son cœur, sa maman tant chérie et sa marraine qui est décédée juste quatre mois avant ce beau jour. On aurait dit qu’elle prévoyait son absence, car elle avait acheté à l’avance un beau stylo, le missel et un chapelet en or. Son parrain qui se trouve près de lui, lui a offert une belle montre. C’est une journée sereine, radieuse et il ressent une douce plénitude qu’il n’a plus connue depuis bien longtemps. Dans la soirée, Bernard, un camarade de communiant l’invite à dîner chez ses parents. On lui donne la permission. C’est une soirée chaleureuse, emplie d’amour et de compassion. Il savoure chaque plat qu’on lui présente en ayant tout de même un petit pincement au cœur en pensant à ses frères qui n’ont pas la chance de partager ce repas avec lui… Puis comme toute bonne chose a une fin, il prend congé des hôtes en les remerciant pour retourner à l’hospice. La maman de Bernard dépose un baiser sur son front. Il en tremble d’émotion ! Il y a si longtemps qu’on ne l’a pas embrassé… Il se revoit à l’hôpital, embrassant sa maman sur la joue, doucement, tendrement en lui disant toujours les mêmes mots « à demain »… Et elle, avec un brave sourire pour cacher et ses douleurs et son chagrin, répondait invariablement : « oui, va mon Pierrot ; rentre directement. Je t’attendrai demain ».
Des larmes coulent le long de ses joues pendant qu’il se glisse sous les draps. Il y avait tellement longtemps qu’il n’avait passé une journée aussi calme, aussi détendu, aussi heureux. Mais maman lui manquait ! Était-elle devenue une étoile parmi celles qui brillaient dans le ciel ? Avait-elle assisté de là-haut à la cérémonie et était-elle fière de son grand garçon ? Il lui sembla qu’une main lui effleurait affectueusement les cheveux. Il sourit et sombra dans le sommeil…
Chapitre 7 | |
| | | riguignol Modératrice
Nombre de messages : 4333 Age : 74 Localisation : dans le vent Date d'inscription : 27/12/2007
| Sujet: Re: Histoire vécue romancée: GABRIELLEChapitre 1 Pierre court avec son thermos de café au lait et arrive tout essoufflé à l’hôpital, impatient de voir maman comme chaque jour. Dès sa sortie de l’école, il passe à la maison pour préparer avec amour le café Dim 22 Mai - 22:35 | |
| | |
| | | la sorciere blanche animatrice
Nombre de messages : 11834 Age : 43 Localisation : parc des volcans d'auvergne Date d'inscription : 11/01/2008
| Sujet: Re: Histoire vécue romancée: GABRIELLEChapitre 1 Pierre court avec son thermos de café au lait et arrive tout essoufflé à l’hôpital, impatient de voir maman comme chaque jour. Dès sa sortie de l’école, il passe à la maison pour préparer avec amour le café Lun 23 Mai - 15:51 | |
| , triste , mais ça sent tellement le "vécu" ....et la suite ???? | |
| | | Reïna
Nombre de messages : 2731 Age : 87 Localisation : Toulon Date d'inscription : 04/01/2010
| Sujet: Re: Histoire vécue romancée: GABRIELLEChapitre 1 Pierre court avec son thermos de café au lait et arrive tout essoufflé à l’hôpital, impatient de voir maman comme chaque jour. Dès sa sortie de l’école, il passe à la maison pour préparer avec amour le café Lun 23 Mai - 19:16 | |
| Elle elle vient! Il faut que je l'écrive... Bonne nuit. | |
| | | la sorciere blanche animatrice
Nombre de messages : 11834 Age : 43 Localisation : parc des volcans d'auvergne Date d'inscription : 11/01/2008
| Sujet: Re: Histoire vécue romancée: GABRIELLEChapitre 1 Pierre court avec son thermos de café au lait et arrive tout essoufflé à l’hôpital, impatient de voir maman comme chaque jour. Dès sa sortie de l’école, il passe à la maison pour préparer avec amour le café Mar 24 Mai - 5:04 | |
| - Reïna a écrit:
- Elle elle vient! Il faut que je l'écrive... Bonne nuit.
lol , ahh ok , je pensais que c'était une nouvelle qui traîner dans tes tiroirs , alors ma fois tu va avoir du travail ....mais pense aussi a te reposer ....bisous ma douce amie ...prends soins de toi .. | |
| | | Reïna
Nombre de messages : 2731 Age : 87 Localisation : Toulon Date d'inscription : 04/01/2010
| Sujet: Re: Histoire vécue romancée: GABRIELLEChapitre 1 Pierre court avec son thermos de café au lait et arrive tout essoufflé à l’hôpital, impatient de voir maman comme chaque jour. Dès sa sortie de l’école, il passe à la maison pour préparer avec amour le café Mar 24 Mai - 9:15 | |
| Je l'ai commencée il y a deux ans et elle dormait lorsque j'ai entrepris "Nathaniel"... j'attends d'être plus en forme pour la continuer... | |
| | | Reïna
Nombre de messages : 2731 Age : 87 Localisation : Toulon Date d'inscription : 04/01/2010
| Sujet: Re: Histoire vécue romancée: GABRIELLEChapitre 1 Pierre court avec son thermos de café au lait et arrive tout essoufflé à l’hôpital, impatient de voir maman comme chaque jour. Dès sa sortie de l’école, il passe à la maison pour préparer avec amour le café Mer 25 Mai - 16:53 | |
| Chapitre 7
Huit mois après la mort de sa mère, Pierre fête ses quatorze ans. Nous sommes le premier août mille neuf cent cinquante sept et il n’a ni une orange, encore moins un cadeau. Il aurait aimé avoir cet avion qu’il a vu en allant à l’école. Depuis tout petit, il construit des maquettes ; il est très habile de ses doigts et les garde précieusement dans sa chambre. Il construit principalement des avions avec tout ce qui lui tombe sous la main. En guise de cadeau, son père vient le chercher pour qu’il entre en apprentissage dans l’entreprise de chauffage et sanitaire où lui-même travaille. Pierre a eu son certificat d’études et avait des dispositions pour les études. Sans qu’il le sache, son directeur d’école était venu voir le père Schmidt pour lui faire comprendre de laisser Pierre poursuivre ses études : « il n’en est pas question ! Plombier chauffagiste, c’est un bon métier et monsieur Bammert est un bon patron humain et qui paie bien ses ouvriers. Il y a deux mômes derrière et l’argent doit rentrer » Le directeur s’en retourne en soupirant et en marmottant « si c’est pas malheureux » !
Le soir, le repas terminé, son père le met au courant de ce qu’il a décidé pour lui : « tu commences demain.
- je t’en prie, je travaille bien. Je voudrais être charpentier pour restaurer les cathédrales et autres beaux bâtiments, Je sais que j’en suis capable. Je ferai partie du tour de France des Compagnons ».
Un grand éclat de rire arrête net le rêve tant de fois imaginé dans sa tête : « charpentier ? Rien que ça ! Tu feras le même métier que moi, un point c’est tout. Et je ne veux plus rien entendre d’aussi stupide. A présent va te coucher, demain réveil à cinq heures ».
La gorge serrée, il ne veut pas lui faire le plaisir de pleurer devant lui, Pierre file dans sa chambre. A cinq heures ! Voilà qu’il ne le changera guère. Il pense à ses deux frères restés à l’orphelinat. Qui va les défendre ? Qui va les embrasser et leur murmurer une de ces chansons qu’il n’a pas oubliée avant qu’ils ne s’endorment ? C’est sûr, ils vont pleurer et si une sœur les entend, ce sera une correction ou pire le sinistre cachot… Pierre finit par s’endormir. Il est réveillé bien avant que son père ne l’appelle. Il se débarbouille, avale son bol de café et met dans sa musette deux tranches de pain et un morceau de fromage pour casser la croute à neuf heures. Son père le présente au patron et au contre-maître qui le prennent de suite en affection. On lui donne sa première tenue de travail et il apprend les bases du métier… Il n’a que quatorze ans et il travaille onze heures par jour, samedi compris. Les premiers soirs, il s’endort comme une masse. Tous les muscles lui font mal, mais il met un point d’honneur à ne pas se plaindre. C’est un apprenti sérieux et consciencieux. Puisqu’il doit faire ce métier autant bien le faire et avec cœur… D’ailleurs, il y prend goût et reçoit les compliments de son chef. Un an après, il obtient son C.A.P.
Un soir, après le repas, son père le retient : « attends, je vas te parler. Tes frères vont revenir habiter ici. Je vas me remarier. Nous sommes en novembre et le mariage c’est pour décembre cinquante-huit, dans juste un mois. Tu ne dis rien ? Je ne peux pas continuer à m’occuper de tout, il faut une femme pour tenir la maison. C’est vrai qu’elle est bien jeune vingt-trois ans, un peu plus de vingt ans de moins que moi. Elle a une petite fille de quatre ans Joëlle et je vas la reconnaître. Je compte sur toi pour coopérer et lui rendre la vie facile.
- Et maman ?
- Quoi maman, Elle est dans notre cœur, mais la vie continue. Dimanche nous irons chercher les deux gosses et tu leur apprendras la nouvelle. Je suis sûr qu’ils seront trop heureux de revenir à la maison. A midi, Annie viendra avec sa fille manger avec nous et vous ferez sa connaissance. Allez, tu peux aller dormir, demain le travail n’attend pas ».
Une fois dans son lit, Pierre laisse son chagrin l’envahir. Il n’a aucune honte à pleurer à seize ans ! Une autre femme va remplacer sa mère. Il comprend son père mais tout de même épouser une jeunette qui n’a que sept ans de plus que lui. Comment va-t-elle se comporter ?
Heureusement qu’il fait partie d’une troupe de folklore depuis l’âge de quinze ans. C’est grâce à une voisine de trois ans son aînée qu’il a réussi à entrer dans ce groupe. Elle voyait qu’il avait un don pour la musique et qu’il chantait juste. Elle lui proposa d’en parler au directeur qui habitait à une quinzaine de kilomètres de Remiremont et il viendrait voir son père : « Mais il ne voudra rien savoir !
- Écoute lui chuchota-t-elle, tu dis que ton père fait toujours le contraire de ce que tu veux. Nous allons combiner un stratagème ».
Le directeur vint voir le père Schmidt et lui demanda l’autorisation de prendre son fils dans sa troupe. Pierre ne le laissa pas terminer et s’écria : « non, je ne veux pas. Je n’ai pas envie d’aller sur les routes
- Tu feras ce que moi je te dis ! C’est moi qui commande ! Tu iras au folklore, c’est dit » !
C’est ainsi que Pierre connut de nombreux pays européens, put respirer loin de chez lui. Il se mit rapidement à la danse et très souvent la soirée comptait deux heures et demie de danse et chant ininterrompus. La troupe participait à des concours et presque chaque fois, elle gagnait le premier prix. Pierre avait quelques coupes, chacun se répartissant les lots. Il fit ainsi dix ans de folklore dont deux ans de juge international. Ils étaient hébergés chez l’habitant et il se souvint d’une certaine fois où le fils de la maison vint avec un camarade le chercher en voiture à la descente du car. En route, le copain qui n’imaginait pas que Pierre parlait l’Allemand, dit en riant grassement : « ces petits cons de Français ». Pendant le repas, à table, le maître de maison demanda qu’on lui passe le pain ; immédiatement Pierre prit le pain et le lui donna. Le garçon devint tout rouge et s’excusa pour son ami. Il fit plus, il l’appela au téléphone et lui ordonna de venir sur le champ pour dire au Français qu’il veuille bien lui pardonner son incorrection. Cela se passait en Autriche. La première rencontre officielle avec les Allemands se fit en mille neuf cent soixante et un en présence de De Gaulle et Adenauer qui serrèrent la main à toute la troupe. Ces dix ans de folklore lui fit supporter bien des souffrances, des humiliations… | |
| | | la sorciere blanche animatrice
Nombre de messages : 11834 Age : 43 Localisation : parc des volcans d'auvergne Date d'inscription : 11/01/2008
| Sujet: Re: Histoire vécue romancée: GABRIELLEChapitre 1 Pierre court avec son thermos de café au lait et arrive tout essoufflé à l’hôpital, impatient de voir maman comme chaque jour. Dès sa sortie de l’école, il passe à la maison pour préparer avec amour le café Mer 25 Mai - 18:48 | |
| ahh je sent que cette histoire va me passionner ...merci réïna tu a vraiment du talent .sandra | |
| | | Reïna
Nombre de messages : 2731 Age : 87 Localisation : Toulon Date d'inscription : 04/01/2010
| Sujet: Re: Histoire vécue romancée: GABRIELLEChapitre 1 Pierre court avec son thermos de café au lait et arrive tout essoufflé à l’hôpital, impatient de voir maman comme chaque jour. Dès sa sortie de l’école, il passe à la maison pour préparer avec amour le café Mer 25 Mai - 20:26 | |
| Merci sandra, mais tu sais ce n'est pas facile de romancer une histoire vécue. C'est la première fois que j'essaie. Bonne nuit et doux rêves... | |
| | | Reïna
Nombre de messages : 2731 Age : 87 Localisation : Toulon Date d'inscription : 04/01/2010
| Sujet: Re: Histoire vécue romancée: GABRIELLEChapitre 1 Pierre court avec son thermos de café au lait et arrive tout essoufflé à l’hôpital, impatient de voir maman comme chaque jour. Dès sa sortie de l’école, il passe à la maison pour préparer avec amour le café Jeu 26 Mai - 17:22 | |
| Chapitre 9:
Le mariage se passa dans la plus stricte intimité bien qu’Annie aurait aimé plus de faste et invité des amis. Pour une fois, le père Schmidt qui lui passait toutes ses volontés, ne céda pas. Après la cérémonie civile, ils se retrouvèrent les mariés, les témoins et les enfants dans la brasserie de Remiremont pour un repas sympathique. Annie fit la tête pendant tout le déjeuner et Pierre se dit que cela promettait des jours moroses. Il ne se trompait pas, c’était chaque matin la soupe à la grimace et quand son mari rentrait en fin de semaine, elle ne faisait que se plaindre des « sales »gosses qui n’obéissaient pas, et sa fille n’était pas épargnée. Annie avait pris l’habitude pour les punir de leur servir le soir, un plat de riz pâteux et dur comme du mortier et obligeait tout le monde y compris Pierre qui allait avoir bientôt dix-sept ans a vidé l’assiette. Le jeune homme aurait préféré une bonne soupe chaude après onze heures de travail. Ce rituel se répétait au moins trois par semaine. Elle améliorait le repas lorsque son mari rentrait en fin de semaine. Un soir après diner, elle retint les trois enfants et Pierre qui se dirigeait vers sa chambre : « J’ai a vous parlé ; j’ai décidé que dorénavant, vous m’appelleriez maman
- Il n’en ait pas question s’écria Pierre : premièrement et surtout, je n’ai qu’une mère bien qu’elle soit partie trop tôt ! Toi, tu n’es que la femme de mon père. Deuxièmement, as-tu vu la différence d’âge que nous avons : sept ans exactement. Alors pour moi, c’est non et ce n’est pas la peine de me lancer ce regard plein de haine, je ne changerai pas d’avis ».
Puis se tournant vers ses frères : « Et vous que décidez-vous ?
- Nous, on veut bien » répondirent-ils en chœur. Annie eut un sourire de triomphe et alla embrasser Farid et Rudy. Écœuré Pierre se réfugia dans sa chambre, tandis que sa belle-mère lui criait : « Tu veux la guerre, tu l’auras » ! Il se jeta tout habillé et regarda par la fenêtre. Ce soir-là, la lune était entière et brillait. Souvent, il lui parlait et aussi aux étoiles lorsqu’elles daignaient se montrer. C’était pour lui comme si il s’adressait à sa maman chérie et lui racontait sa journée, ses ambitions, le folklore. Il évitait de lui parler de sa peine, de la méchanceté de sa belle-mère, de l’indifférence de son père qui faisait entièrement confiance à sa jeune épousée. Puis,il regarda les maquettes confectionnées avec amour et passion et admira les peintures et les aquarelles, de vrais bijoux que sa mère avait peints délicatement quand les douleurs lui laissaient quelques répits. Il remit tout à leur place avant de se déshabiller et s’endormir épuisé.
Un dimanche soir très tard, en rentrant du folklore, il regagna sa chambre en évitant le moindre bruit et lorsqu’il eut refermé sa porte et allumé la lumière, il retint un cri d’animal blessé. Sa belle-mère avait dû fouiller dans ses affaires et toutes ses maquettes étaient en lambeaux, et les peintures de sa mère n’étaient plus qu’un tas de cendres. Il courut dans une cachette où il avait mis deux aquarelles peintes de mémoire lorsqu’elle se trouvait dans la maison de repos à Aix-en-Provence. Ce fut les deux seuls souvenirs qui lui restaient de celle qu’il continuait à aimer et à vénérer avec tant de force. Une envie de meurtre le prit ! Il se contenta de pleurer en silence toute la nuit et murmura : « tu vas voir, tu vas mourir » !
Le lendemain, il se leva à cinq heures comme de coutume sans avoir fermé l’œil de la nuit. Sur le chantier, il eut un étourdissement et le contre maître lui demanda ce qui se passait. En sanglotant enfin sans retenu, il lui raconta les méfaits de cette mégère. Le brave homme le prit contre lui et le berça un moment sans un mot. Puis, il lui permit de s’allonger dans la baraque et lui promit de le réveiller à midi. Il ajouta : « Un jour, tu auras ta revanche. Toutes ces expériences vont t’aider à avancer car tu es un battant et tu fais déjà un travail qui dépasse le C.A.P. N’oublie pas que dans avant un an tu auras ton B.E.P. Je n’ai jamais vu un ouvrier travailler avec autant d’ardeur, de conscience, du travail bien fait à ton âge. Allez repose-toi. Cet après-midi, tu auras plus de forces et rattraperas ton travail… | |
| | | riguignol Modératrice
Nombre de messages : 4333 Age : 74 Localisation : dans le vent Date d'inscription : 27/12/2007
| Sujet: Re: Histoire vécue romancée: GABRIELLEChapitre 1 Pierre court avec son thermos de café au lait et arrive tout essoufflé à l’hôpital, impatient de voir maman comme chaque jour. Dès sa sortie de l’école, il passe à la maison pour préparer avec amour le café Ven 27 Mai - 10:17 | |
| Qu'elle mégère!!!
Bien triste cette histoire; la fin est-elle encore plus triste ou y a-t-il un espoir?
Ok, je vais trop vite; bon j'attends.... | |
| | | la sorciere blanche animatrice
Nombre de messages : 11834 Age : 43 Localisation : parc des volcans d'auvergne Date d'inscription : 11/01/2008
| Sujet: Re: Histoire vécue romancée: GABRIELLEChapitre 1 Pierre court avec son thermos de café au lait et arrive tout essoufflé à l’hôpital, impatient de voir maman comme chaque jour. Dès sa sortie de l’école, il passe à la maison pour préparer avec amour le café Ven 27 Mai - 12:33 | |
| certain on pas eu la vie facile ..... | |
| | | Reïna
Nombre de messages : 2731 Age : 87 Localisation : Toulon Date d'inscription : 04/01/2010
| Sujet: Re: Histoire vécue romancée: GABRIELLEChapitre 1 Pierre court avec son thermos de café au lait et arrive tout essoufflé à l’hôpital, impatient de voir maman comme chaque jour. Dès sa sortie de l’école, il passe à la maison pour préparer avec amour le café Sam 28 Mai - 16:02 | |
| Chapitre 9:
Chapitre 9 :
Il eut dix-huit ans l’année du B.E.P. Mais ce fut pour lui encore une année noire. Farid qui avait eu quatorze ans, venait de commencer son apprentissage chez un matelassier, quand une semaine plus tard, sa main fut prise dans la machine à carder. On le transporta en urgence à l’hôpital de Remiremont où les médecins oublièrent de lui demander s’il était à jour du vaccin antitétanique. Au bout de quelques jours son état s’aggrava et le tétanos se déclara. Il fur dirigé sur l’hôpital de Nancy et Pierre l’accompagna. Tout le long de la route il tint la main de son frère C’était horrible de le voir souffrir et de s’arc-bouter en se mangeant les lèvres. Entre deux crise, il serrait la main de son frère et lui disait : « Dis Pierrot, je vais pas mourir, hein ?
- Mais non gros bêta, je te garde avec moi » !
Pierre reprit le train pour Remiremont, le cœur déchiré pour reprendre son travail. Le dimanche, il partit au folklore, la gorge serrée, sans envie. Il ne savait pas que l’état de Farid s’était encore plus détérioré. Une ambulance ramena l’adolescent chez lui où il rendit le dernier soupir juste en bas de son domicile. Pierre apprit l’horrible nouvelle en rentrant dans la nuit C’est la première fois qu’il voyait son père sanglotait ainsi ; il avait pleuré à la mort de sa femme mais c’était des larmes silencieuses. Là, c’était un chagrin immense mêlé à une colère sourde contre l’hôpital de Remiremont. Pierre fut effondré et ses larmes restèrent bloquées au fond de sa gorge. Il resta des mois sans ouvrir la bouche, si ce n’est pour des phrases indispensables, vivant comme un somnambule. Il travailla avec plus d’ardeur, décidé à obtenir son B.E.P. Il l’obtint avec mention. Ce fut à cette époque qu’il connut Françoise et un peu de lumière éclaircit sa vie. Ils s’entendaient bien tous les deux et étaient très amoureux Il lui promit de se marier après son service militaire. Ils se fiancèrent officieusement. La maman de Françoise qui aimait bien Pierre et qui tirait les cartes, lui dit un jour : « tu va pas marier ma fille, c’est pas pour toi, trop volage ; rappelle-toi ce que je te dis ». Cela fit rire Pierre qui, d’une part ne croyait pas aux cartes, et, d’autre part était bien trop amoureux pour imaginer vivre sans sa Françoise. Ils vécurent des jours heureux comme tous les amoureux, allant aux bals des villages, au cinéma le dimanche. Pierre travaillait et gagnait bien sa vie mais c’est son père qui encaissait sa paye. Il se débrouillait comme il pouvait avec le peu d’argent de poche. Il fut tout étonné quand sa belle-mère lui dit qu’elle lui mettait de l’argent de côté pour lui en envoyer pendant son service militaire. Ce fut la seule chose qu’il mit à sa décharge. Un soir, il annonça qu’il devait partir pour quelques jours sur un chantier. Sa belle-mère lui dit en colère en se tournant vers son mari : « et pourquoi tu as accepté, qui va faire les corvées ?
- Le contremaître décide, j’obéis…
Il n’avait pas fini sa phrase que son père lui donnait un revers qui le fit tomber en arrière de sa chaise et eut deux dents cassés : « tu parles pas comme ça à ta belle-mère » ! Annie, jubilée, moqueuse. Pierre alla à la salle de bains pour se rincer la bouche. C’était la première fois que son père levait la main sur lui. Il s’enferma dans sa chambre, regarda par la fenêtre, mais la lune était voilée. Il pensa à Françoise, à la joie de la revoir le samedi soir et détesta encore plus Annie. Son père s’était pris d’affection pour Joëlle, la fille d’Annie et lui passait tous les caprices. Peut-être parce que c’était la seule fille au milieu de garçons. Des garçons, il en restait malheureusement Un soir Pierre décida plus que deux Rudy et Pierre. En mai 62, Pierre passa le Conseil de Révision, fut bon pour le service et avec sa cocarde de conscrit il fit la fête avec les autres appelés. Il partit le 1er janvier 63 et fut affecté dans les chars de combat, devint tireur d’élite et passa dix mois à l’Etat Major. Il termina son service sous-officier. A l’époque, le service militaire durait seize mois et pas de permission avant six mois. Au début sa correspondance avec sa fiancée fut régulière et puis, peu à peu, les lettres de Françoise s’espacèrent. Mais lui, continua à écrire en se posant tout de même des questions sur son silence. Vint enfin la première permission. Là, il apprit que Françoise sortait avec son meilleur ami. Ses copains lui dirent qu’ils se trouvaient à l’étang et il enfourcha son vélo, toujours le même vieux clou qui tenait debout comme par miracle. Arrivé à l’étang, il ne daigna pas regarder sa fiancée et se dirigea directement vers son ex ami, vert de peur. Il l’attrapa par la peau des fesses et le jeta dans l’eau qui lui montait aux genoux. Le garçon hurlait : « au secours, je vais me noyer, je ne sais pas nager ». Pierre riait de bon cœur comme un bossu : « avec de l’eau jusqu’aux genoux, sûrement ». Il les planta là sans un regard. Françoise épousa cet ami et divorça un an plus tard. Pierre se dit que les cartes n’avaient pas menti. Ce même soir, il rentrait chez lui en uniforme lorsqu’il fut attaqué par trois arabes dont un sorti un cran d’arrêt. Il n’hésita pas une seconde, et avec ses grosses chaussures militaires, il lui envoya un coup de pied dans ses parties « nobles » qui le laissa sans connaissance. Les deux autres se sauvèrent mais furent retrouver plus tard. Le blessé fut emmené en ambulance à l’hôpital. Le comique de l’histoire, c’est que Pierre obtint huit jours de permission pour avoir défendu l’honneur de l’armée et huit jours de prison pour avoir blessé un civil…
En août 63, il reçut un télégramme lui apprenant la mort subite de sa belle-mère, âgée de vingt-neuf ans. Il obtint une permission pour l’enterrement. Il repensa à la phrase qu’il avait dite « tu vas mourir, tu vas voir » et se promit de ne jamais plus avoir ce genre de pensées…
A cent jours de la libération, une grande fête appelée « le Père Cent » les bidasses se noyaient dans la bière avaient le droit de tout casser. Pierre fut libéré en mai 64. Il reprit son travail et demanda à son patron de lui donner dorénavant sa paye, et non plus à son père. Celui-ci entra dans une grande colère mais dû s’incliner devant les remarques du père Bammert qui lui fit honte en lui disant que son fils n’avait même pas un imperméable à se mettre. Tout rentra dans l’ordre pour un temps… Un soir, Pierre décida d’aller au cinéma, son père rétorqua : « je t’ai pas donné la permission…
- La permission ? Je vais être bientôt majeur, je reviens de l’armée et je vais te demander la permission ?
- Si tu n’es pas content, tu fous le camp et tu peux même emmener ton frère.
- Pas de problèmes »
Pierre fit sa valise et celle de son frère et ils allaient franchir la porte, lorsque le père Bayer, les rattrapa en leur disant : « allez les cheunes, ne faites pas les cons, restez à la maison, j’ai eu tort ». | |
| | | la sorciere blanche animatrice
Nombre de messages : 11834 Age : 43 Localisation : parc des volcans d'auvergne Date d'inscription : 11/01/2008
| Sujet: Re: Histoire vécue romancée: GABRIELLEChapitre 1 Pierre court avec son thermos de café au lait et arrive tout essoufflé à l’hôpital, impatient de voir maman comme chaque jour. Dès sa sortie de l’école, il passe à la maison pour préparer avec amour le café Sam 28 Mai - 18:32 | |
| bon sang quelle vie il eu ce "pierre" il avait bon caractère oula ...merci réïna de nous écrire une si émouvante histoire ...bisous .sandra. | |
| | | riguignol Modératrice
Nombre de messages : 4333 Age : 74 Localisation : dans le vent Date d'inscription : 27/12/2007
| Sujet: Re: Histoire vécue romancée: GABRIELLEChapitre 1 Pierre court avec son thermos de café au lait et arrive tout essoufflé à l’hôpital, impatient de voir maman comme chaque jour. Dès sa sortie de l’école, il passe à la maison pour préparer avec amour le café Dim 29 Mai - 16:15 | |
| | |
| | | Reïna
Nombre de messages : 2731 Age : 87 Localisation : Toulon Date d'inscription : 04/01/2010
| Sujet: Re: Histoire vécue romancée: GABRIELLEChapitre 1 Pierre court avec son thermos de café au lait et arrive tout essoufflé à l’hôpital, impatient de voir maman comme chaque jour. Dès sa sortie de l’école, il passe à la maison pour préparer avec amour le café Lun 6 Juin - 16:29 | |
| Chapitre 10:
Chapitre 10 :
La vie continua pour Pierre, travail, folklore qu’il arrêta au bout de dix ans, trop fatigué par son métier, le cinéma le samedi soir ou le dimanche après-midi. Son troisième frère s’engagea dans l’armée au grand plaisir de leur père. Il rencontra Nicole et tombèrent amoureux l’un de l’autre. Ils se marièrent au bout d’une année et eurent de suite une petite fille. L’accouchement fut difficile et Nicole qui avait perdu sa mère à sa naissance ne voulut pas d’autres enfants… Et puis, la société Bammert dut fermer les portes et Pierre créa avec un collègue sa propre entreprise. Tout marcha bien pendant plusieurs années et un jour, un malheureux jour sur un chantier, il se rendit compte tout à coup que son bras saignait. Il ne souffrait pas, pourtant il s’était blessé, c’était indéniable. Son médecin lui prescrivit une série d’examens qui le fit aboutir à l’hôpital de Nancy distant de Remiremont de cent kilomètres. Il y resta cinq semaines. Sa femme qui travaillait ne pouvait aller le voir que les weekends. Il subit entre autres une dizaine de ponctions lombaires pendant son séjour. Au bout du compte, le verdict tomba : maladie génétique, orpheline, appelée syringomyélie. Il avait tout le côté droit insensibilisé et les médecins lui affirmèrent qu’avant un an il serait dans un fauteuil roulant. Il pouvait également perdre la vue. Mais Pierre était comme toujours un battant et continua de travailler en se disant que la maladie était là mais qu’il n’en subirait pas les conséquences. Par contre, son associé rompit son contrat avec lui, disant ne pas vouloir se retrouver avec un partenaire amoindri. Il monta sa propre affaire en 1977 qui fonctionna bien jusqu’ en 1982, date à laquelle, il quitta les Vosges pour s’installer à Toulon, à son compte. Écœuré des pots de vin que les architectes et les entrepreneurs lui réclamaient, il déposa le bilan et devint salarié dans une grande entreprise nationale. | |
| | | riguignol Modératrice
Nombre de messages : 4333 Age : 74 Localisation : dans le vent Date d'inscription : 27/12/2007
| Sujet: Re: Histoire vécue romancée: GABRIELLEChapitre 1 Pierre court avec son thermos de café au lait et arrive tout essoufflé à l’hôpital, impatient de voir maman comme chaque jour. Dès sa sortie de l’école, il passe à la maison pour préparer avec amour le café Mar 7 Juin - 6:53 | |
| | |
| | | la sorciere blanche animatrice
Nombre de messages : 11834 Age : 43 Localisation : parc des volcans d'auvergne Date d'inscription : 11/01/2008
| Sujet: Re: Histoire vécue romancée: GABRIELLEChapitre 1 Pierre court avec son thermos de café au lait et arrive tout essoufflé à l’hôpital, impatient de voir maman comme chaque jour. Dès sa sortie de l’école, il passe à la maison pour préparer avec amour le café Mar 7 Juin - 15:50 | |
| la vie ne l'épargne pas jusqu'ici ... merci réïna..... | |
| | | Reïna
Nombre de messages : 2731 Age : 87 Localisation : Toulon Date d'inscription : 04/01/2010
| Sujet: Re: Histoire vécue romancée: GABRIELLEChapitre 1 Pierre court avec son thermos de café au lait et arrive tout essoufflé à l’hôpital, impatient de voir maman comme chaque jour. Dès sa sortie de l’école, il passe à la maison pour préparer avec amour le café Mar 7 Juin - 17:01 | |
| Suite et fin de Gabrielle:
Il vint habiter avec sa famille au rez-de-chaussée de la villa où mon mari, et moi habitions au premier étage. Il était très réservé, peut-être timide, ne disant tout juste « bonjour » « bonsoir ». Avec sa femme, j’entretins des relations de bon voisinage et nous allions ensemble au marché. Lorsque je préparais des gâteaux ou biscuits pour nos fêtes, je lui en descendais une assiette. A cette époque, un après-midi, mon mari fut pris d’un violent mal de ventre et notre médecin et ami le conduisit lui-même dans sa fourgonnette (c’était un original, mais excellent diagnostiqueur) jusqu’à l’hôpital où il fit lui-même son diagnostic au médecin des urgences : une résistance à la palpation, donc péritonite ou infarctus mésentérique. Il fallait intervenir d’urgence. Or, mon mari souffrant d’une insuffisance respiratoire, ils le laissèrent toute la nuit en réanimation, craignant qu’il ne meure sur la table d’opération… Vers le matin, il fit un arrêt cardiaque et ils réussirent à le ranimer. Ils se décidèrent enfin à le transporter au bloc opératoire. C’était trop tard, l’intestin était ouvert sur plusieurs centimètres et une septicémie s’était déclarée. Notre médecin appelle dès huit heures le matin pour demander comment l’opération s’était passée. On lui répond qu’il est seulement en cours d’intervention après un arrêt cardiaque. Il demande un responsable et ne mâche pas ses mots les traitant de tous les noms. Il fait un rapport et le chef des urgences est suspendu. Entre temps, toute la journée l’équipe médicale s’attelle à changer le sang, le chirurgien responsable me disant : « On fait le maximum, madame. Soixante-deux ans, c’est encore jeune pour le laisser partir ». Hébétée, je n’ai pas osé lui dire que c’était la faute des médecins si mon mari se trouvait aux portes de la mort. Malheureusement, à dix-huit heures, il décédait… Je voulais porter plainte contre l’hôpital pour que des erreurs pareilles ne se renouvellent pas. Notre ami médecin m’en dissuada disant : « Que le pot de terre ne pouvait rien contre le pot de fer ».
Ma mère et ma fille venaient souvent me voir, mais le soir, seule chez moi, c’était des torrents de larmes. Après dix-neuf ans d’enfer d’un premier mariage, je me retrouvais veuve. Nicole venait parfois me voir en sortant du travail. Un soir, dix-huit mois après le départ de mon mari, elle monta chez moi pour me parler dit-elle. Ma mère et ma fille se trouvaient avec moi. Elle me dit qu’elle venait de refaire sa garde-robe pour une somme de mille huis cents francs et qu’elle allait partir quelques temps chez une amie. Elle ne savait pas si elle allait rester avec son mari car elle n’avait pas envie de finir ses jours avec un handicapé dans un fauteuil roulant. Elle n’avait aucune gêne en nous disant cela et elle redescendit chez elle. Ma mère et ma fille, tout comme moi, étaient scandalisées de sa façon de parler de son mari qui continuait, non seulement à travailler dans l’entreprise qui l’employait, mais faisait des heures supplémentaires les weekends sur des chantiers de particuliers. Toujours le même travailleur, le même battant, un homme qui allait du travail à sa maison. Il sentait que son mariage battait de l’aile, il m’apprit cela plus tard et se demandait si sa femme ne virait pas sa cuti. Le temps passa encore et je me rendais compte que je ne voyais plus ma voisine. Comme je ne parlais jamais avec mon voisin, je n’osais pas le questionner. Je me rendais compte qu’il était triste et avait beaucoup maigri. Enfin, je me décidai à lui demander si Nicole était malade. Il me répondit : « Non, si cela ne vous ennuie pas je monterai ce soir vous expliquer. Je me permets parce que je sais que votre mère et votre fille sont encore là ». Il arriva un moment après, et nous apprit que sa femme avait quitté le domicile conjugal pour vivre avec une autre femme. Avant de le quitter, elle avait eu le culot de lui poser cette question : « Si ça ne marche pas, je peux revenir » ? A quoi il avait répondu qu’il n’en était pas question. Il nous apprit que depuis deux mois, il travaillait avec 24 de tension et que le médecin avait décidé à le faire hospitaliser. Nous eûmes beaucoup de peine pour lui. Comme je savais qu’il n’avait que rarement des visites de sa fille qui travaillait, je demandai à ma mère si je pouvais me permettre d’aller le voir. J’étais timide et je craignais d’être importune. Il n’était pas dans sa chambre et on m’indiqua l’endroit où il se trouvait pour la journée pour surveillait sa tension. Lorsqu’il me vit arriver, il rougit. Je lui dis que je venais prendre de ses nouvelles et il me remercia ne s’attendant pas à cela. Nous bavardâmes pendant une heure et je lui promis de revenir la semaine suivante. Il m’attendait derrière la fenêtre. Nous parlâmes de nos goûts ; il me questionna sur la méditation dont il s’intéressait depuis longtemps sans avoir fait partie d’aucun groupe. Je me rendis compte que ce n’était pas « l’ours » que je voyais en lui, mais un homme bon, timide, travailleur, cela je le savais… Il m’apprit qu’on lui accordait une permission pour la fin de semaine. Je l’invitai à partager notre repas le dimanche, il accepta, ému. Nous apprîmes à nous connaître. Un soir, au téléphone, il me dit d’une petite voix, qu’il m’aimait. Sur le moment, je restai muette, persuadée qu’il avait bu. Mais il me dit qu’il était sincère et qu’il désirait me présenter à sa fille et son gendre. Ma fille était heureuse pour moi, mais il n’y avait que deux ans que mon mari était mort et je trouvai que c’était un peu tôt pour refaire ma vie. Pour moi, ce fut une révélation ; je trouvais un homme bon, attentionné, respectueux, prévenant, ce qui me changeait de mes précédents mariages. Le deuxième fut bon et aimant mes enfants, me respectant mais il souffrait d’une maladie mentale qu’il m’avait cachée et je souffris plus d’une fois de ses crises… Avec Pierre, je me senti revivre, redevenir un être humain. Je pris confiance en moi, je n’étais plus humiliée, méprisée. A notre tendresse s’ajouta une complicité, et depuis nous apprenons à nous épauler, veillant l’un sur l’autre, essayant d’accepter nos maladies génétiques respectives, sachant que nous serons toujours là, l’un pour l’autre même si notre handicap s’accentuait… Après des années de galère, depuis dix-huit ans, malgré nos maux, nous vivons la main dans la main, espérant que nous nous retrouverons là-haut dans la Lumière quand notre temps sur terre sera terminé…
FIN | |
| | | la sorciere blanche animatrice
Nombre de messages : 11834 Age : 43 Localisation : parc des volcans d'auvergne Date d'inscription : 11/01/2008
| Sujet: Re: Histoire vécue romancée: GABRIELLEChapitre 1 Pierre court avec son thermos de café au lait et arrive tout essoufflé à l’hôpital, impatient de voir maman comme chaque jour. Dès sa sortie de l’école, il passe à la maison pour préparer avec amour le café Mer 8 Juin - 7:02 | |
| très touchante histoire de vie , ce Pierre il doit être génial pour avoir conservé sa bonté envers et contre tous , beaucoup ce serai révolté et ce serai aigri ....longue et heureuse vie a vous deux ...sandra. | |
| | | Reïna
Nombre de messages : 2731 Age : 87 Localisation : Toulon Date d'inscription : 04/01/2010
| Sujet: Re: Histoire vécue romancée: GABRIELLEChapitre 1 Pierre court avec son thermos de café au lait et arrive tout essoufflé à l’hôpital, impatient de voir maman comme chaque jour. Dès sa sortie de l’école, il passe à la maison pour préparer avec amour le café Mer 8 Juin - 9:15 | |
| Tes mots me touchent beaucoup et me vont droit au cœur. C'est vrai qu'avec tout ce qu'il a vécu, il aurait pu "mal tourné"... C'est ce qu'on entend souvent lorsque des jeunes font des quatre cents coups: "il a eu une vie difficile, misérable, pas d'affection etc, etc... Lui, cela lui a donné envie de s'en sortir, d'être fier de son travail... Il a une vie spirituelle lumineuse. Il dit souvent en parlant de jeunes qui délaissent leurs parents, leur mère surtout: "Ils ne savent pas le bonheur qu'ils ont d'avoir encore leur mère"! Il pense souvent à son frère mort à quatorze ans dans des souffrances atroces. Il garde pour lui sa peine et prie pour ceux qu'il a aimés. Son troisième frère devenu mystérieusement très riche, il n'a plus de contacts depuis cinq ans. Avant, ils avaient des nouvelles une fois par an. Encore une fois, Reïna a été une grande bavarde... C'est ce que milusine dirait si elle me lit... C'est une amie très chère dont la vie ne l'a pas épargnée et que j'aime beaucoup. Bisous sandra... | |
| | | la sorciere blanche animatrice
Nombre de messages : 11834 Age : 43 Localisation : parc des volcans d'auvergne Date d'inscription : 11/01/2008
| Sujet: Re: Histoire vécue romancée: GABRIELLEChapitre 1 Pierre court avec son thermos de café au lait et arrive tout essoufflé à l’hôpital, impatient de voir maman comme chaque jour. Dès sa sortie de l’école, il passe à la maison pour préparer avec amour le café Mer 8 Juin - 9:19 | |
| les âmes pures se laisse guider par la lumière .....éternellement .. | |
| | | Reïna
Nombre de messages : 2731 Age : 87 Localisation : Toulon Date d'inscription : 04/01/2010
| Sujet: Re: Histoire vécue romancée: GABRIELLEChapitre 1 Pierre court avec son thermos de café au lait et arrive tout essoufflé à l’hôpital, impatient de voir maman comme chaque jour. Dès sa sortie de l’école, il passe à la maison pour préparer avec amour le café Mer 8 Juin - 10:10 | |
| | |
| | | riguignol Modératrice
Nombre de messages : 4333 Age : 74 Localisation : dans le vent Date d'inscription : 27/12/2007
| Sujet: Re: Histoire vécue romancée: GABRIELLEChapitre 1 Pierre court avec son thermos de café au lait et arrive tout essoufflé à l’hôpital, impatient de voir maman comme chaque jour. Dès sa sortie de l’école, il passe à la maison pour préparer avec amour le café Mer 8 Juin - 10:19 | |
| J'avais compris depuis la première ligne que tu parlais de "ton" Pierre. C'est une merveilleuse histoire. Il y a énormément de souffrance, mais aussi une affection profonde que très peu de gens, dans de telles circonstances, ont le bonheur de connaître. Et ceci est un don du Ciel. Soyez bénis | |
| | | Reïna
Nombre de messages : 2731 Age : 87 Localisation : Toulon Date d'inscription : 04/01/2010
| | | | Contenu sponsorisé
| Sujet: Re: Histoire vécue romancée: GABRIELLEChapitre 1 Pierre court avec son thermos de café au lait et arrive tout essoufflé à l’hôpital, impatient de voir maman comme chaque jour. Dès sa sortie de l’école, il passe à la maison pour préparer avec amour le café | |
| |
| | | | Histoire vécue romancée: GABRIELLEChapitre 1 Pierre court avec son thermos de café au lait et arrive tout essoufflé à l’hôpital, impatient de voir maman comme chaque jour. Dès sa sortie de l’école, il passe à la maison pour préparer avec amour le café | |
|
Sujets similaires | |
|
| Permission de ce forum: | Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
| |
| |
| |